Le retour en France

Fin des pages relatives aux environs de Monastir et c'est le retour en France

Quatre feuilles sont vierges puis le carnet noir est écrit à nouveau, mais au crayon de papier.

Feuillet 8 - recto - juillet 1917

Le 24 juil au matin nous quittons Gradesnica, le détachement comprend 98 permissionnaires plus 2 officiers. Nous nous dirigeons vers la gare d’Holeven, environ 5 Km, nous attendons 5 h. dans un champ de blé où l’on grille, le départ du train. Ce n’est qu’à 4 h. que nous quittons la gare pour Salonique, empilés dans des wagons non aménagés. Voyage sans incidents, arrivée le 25 juil à 4 h. du soir en gare des Orientaux, on part pour le camp de Zeitenlik, grand branle-bas au D.I. ; on doit embarquer le même soir, plusieurs ordres et contre-ordres, on repart enfin vers 9 h. pour la gare où l’on monte dans le train qui doit nous emmener sur Itea. Nous partons à 11 h. du soir. Le 26 juil au matin à 5 h. ½ nous sommes en gare de Catherina, long arrêt, nous continuons sur Larissa où l’on arrive à 11 h. Nous avons traversé des plaines immenses, les champs de blé sont moissonnés. Nous nous arrêtons 2 h. on s’y ravitaille copieusement, beaucoup de fruits et légumes, on se précipite dessus. La ville de

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Larissa (env. 25000 hab.) paraît très étendue, les abords de la gare sont très spacieux. Nous repartons à travers les plaines puis vient la montagne, longtemps le train grimpe puis vient une longue suite de descentes, beaucoup de tunnels, viaducs, la montagne est des plus sauvages, il y a de fort beaux coups d’œil. On s’arrête à ……… (env. 200 Km d’Athènes), buffet, puis on repart pour le terminus où l’on arrive à 8 h. Nous sommes à Bralo, petite station perdue au bas des montagnes. Nous allons camper à 500 m de la gare, on couche à la belle étoile car il a fait aujourd’hui une chaleur ! De là nous partirons en camions-autos demain matin pour Itea. A 6 h ½ le 27 juil nous embarquons en camions. Tout le détachement des permissionnaires est là, toutes les armes sont confondues, nous sommes 800. Enfin tout le monde est casé et l’on part, de suite on aborde la montagne, nous pénétrons dans l’Attique, nous grimpons

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pendant une vingtaine de Km, partout les montagnes rocheuses, parfois à pic, très peu boisées, on se croirait dans le désert sur les cimes. Nous descendons ensuite par des lacets interminables, route assez bonne, spectacle merveilleusement sauvage, c’est la nature bouleversée comme aridité. Nous arrivons enfin au bas des montagnes, on traverse une jolie petite ville (Amphissa) bien propre, dont les maisons s’échelonnent dans la montagne, de chaque côté de la route des oliviers énormes. Il en est ainsi jusqu’à Itea où nous arrivons à 9 h. 40. Il fait déjà très chaud. La mer est tout près de notre camp qui s’étend en arrière de la petite ville. Nous nous étendons à l’ombre des oliviers ; on reçoit quelques ordres, nous ne partirons que demain matin. Vers 10 h nous allons nous promener en ville, les cafés sont bondés ! on y vend du vin exécrable, de la bière idem …beaucoup de marchands de fruits et légumes ; sur le quai où vient battre la mer il n’y a que peu de marchandises. On y grille au soleil, l’eau est assez mauvaise et peu fraîche.

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Au large arrive un bâtiment, c’est celui qui nous traversera demain, le croiseur « Châteaurenault ». Après la sieste on va prendre un bon bain à la mer, il y a énormément de poilus. Le soir nouvelle promenade en ville, beaucoup de poilus mais rien d’intéressant à voir sauf la mer et les bateaux du port. Le 28 juil à 6 h nous faisons nos préparatifs mais nous n’embarquerons que vers 9 h. vu les difficultés de l’accostage. Avec des chalands, nous embarquons sur le « Châteaurenault » qui est dans la baie â 2 Km environ. C’est un vieux croiseur qui file encore 18 nœuds, il a 2 canons de 164 et 4 de 140 plus 4 de 107. Comme installation pour nôtre transport, aucune, nous nous casons un peu partout. On va manger vers 11 h cuisine assez bonne, enfin à 12 h 40 nous démarrons. Après quelques ¼ d’heure le croiseur est dans toute sa vitesse, vers le soir il ira même plus vite encore. Nous avons vogué longtemps sur le canal de Corinthe (les côtes ne sont pas très loin de nous, nous avons entrevu sur

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le rivage la ville de Patras. Vers 6 h ½ plus rien, nous sommes en pleine mer, le croiseur est précédé d’un contre-torpilleur qui veille. Après la soupe du soir nous flânons jusque très tard sur le pont car il fait très chaud en bas. Le 29 juil réveil à 6 h, nuit excellente sur le pont de soute, on entrevoit les côtes d’Italie, le contre-torpilleur est à nos côtés, nous marchons toujours bien calme. A 6 h ½ nous entrons dans le golfe non loin de la côte, arrêt assez long. Vers 8 h ½ nous franchissons le pont et entrons en rade. Sur les quais il y a beaucoup de monde pour assister à notre débarquement, nous pénétrons en pleine rade et attendons. Autour de nous, diverses unités de la marine de guerre italienne, dont un cuirassé des plus récents ; le « Vérité » est ancré tout près aussi. Nous pouvons examiner à notre aise le port car nous restons immobiles jusqu’à 1 h ½. Puis des chalands viennent nous chercher et amener à terre. A 2 h nous débarquons, on nous conduit dans

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un camp à proximité de la mer, quelques baraquements, des tentes enfin un camp très vaste en pleine organisation. Il fait une chaleur accablante, pas d’ombre, nous sommes gardés par des sentinelles. Impossible d’aller en ville (8 Km du camp), nourriture des plus maigres, on couche à la belle étoile vu le beau temps et les Rotos. Le 30 juil lavage, bain de mer, la matinée passe ainsi, il fait très chaud. On a hâte de quitter cette région grillée par le soleil. A 5 h ½ nous partons embarquer. A 7 h ½ nous démarrons à petite allure car le train est très long. Wagons de 2è et 3è cl., très confortables. Nuit assez courte, pas trop mal dormi. Le 31 juillet à 8 h ½ nous arrivons à Foggia, long arrêt, changement de direction, nous nous dirigeons sur Naples. Il fait très chaud, la campagne est des plus fertile, des champs d’oliviers, des vignes, beaucoup de figuiers, etc… Nous arrivons à Caserte à 2 h ½, gare très importante, on nous distribue du café bien chaud. Beaucoup de mouvement dans cette gare soldats italiens, infirmières.

Feuillet 11 - recto - août 1917

L’arrêt se prolonge jusqu’à 4 h ½, enfin nous partons : dernière station avant la nuit Cassino, où nous laissons un camarade à l’hôpital. La nuit s’écoule sans incidents, nous arrivons à Rome le 1er août à 2 h du matin. Gare immense, peu de monde sauf les inévitables marchands de cartes postales. Nous repartons 30 mn après sans avoir rien vu de la ville. A 5 h ½ nous passons à Civito-Vecchia, gros centre au bord de la mer, 30 mn d’arrêt et nous filons sur Livourne. Nous avons hâte d’arriver malgré le confort des wagons, on ne peut s’allonger à son aise et il y fait une chaleur ! … Enfin nous arrivons à Livourne gare centrale que nous quittons pour aller en gare San Marco. Contrairement aux prévisions et ordres précédents nous ne ferons pas le séjour de 24 h que chacun attendait. Le temps de manger et de se ravitailler et nous repartons à 4 h ½. Nous arrivons bientôt à Pise, arrêt de 15 mn, chacun peut contempler à quelques cent mètres la fameuse Tour penchée et la cathédrale, bon accueil de la part de la population massée le long de la voie. Le train repart et sur tout le parcours on nous fait des ovations sans fin. C’est la première fois que nous sentons la sym-

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-pathie si amicale. Bientôt nous sommes assaillis par un violent orage. Une trombe d’eau s’abat sur la région que nous traversons. Le train qui a bien ralenti s’arrête complètement en lançant des signaux d’appel. La pluie et le vent font rage pendant 20’ ; on repart à petite allure, enfin tout s’apaise. Dans cette belle campagne, les arbres et les vignes sont saccagées, beaucoup d’oliviers arrachés. Nous passons cette zone ; la campagne est d’une fertilité remarquable, des vignes chargées de raisins, des arbres fruitiers en quantités, de jolis petits villages perdus au milieu de la verdure. La nuit vient, nous passons à La Spezzia ) 10 h. ; long arrêt, belle station, beaucoup de monde, buffet très bien servi. Nous repartons le long du littoral, la lune éclaire la mer d’une façon magique, il y a des coups d’œil merveilleux. Une quantité de tunnels, nous arrivons à Gênes à 3 h. le 2 août 1917, au matin arrêt d’1 heure. Ravitaillement copieux en gare, beaucoup de monde. On repart vers le littoral. Le voyage devient merveilleux, nous longeons la mer un peu houleuse, la campagne est des plus belles, des palmiers, orangers, etc…

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Nous atteignons San Remo à 11 h ½, depuis Gênes la population nous fait de belles ovations, on agite des drapeaux aux fenêtres. Le coup d’œil est des plus beaux à San Remo, hôtels enfouis sous la masse des palmiers et autres arbres exotiques, des fleurs, la mer d’un bleu d’azur ; nous repartons après 20 mn d’arrêt, midi ¼ nous sommes en arrêt à la gare de Bordighera. Tout près la mer vient battre la côte, jolis hôtels, toujours même végétation exotique. Nous arrivons à Vintimille à 12 h ½. Long arrêt, visite médicale, reconnu malade, désigné pour m’arrêter à Nice avec une quinzaine de camarades. Nous repartons sur la France, bientôt nous franchissons la frontière, on passe Menton, Monaco, etc. presque sans arrêt, enfin nous arrivons à Nice à 2 h. (Heure Française). Sur le parcours de la frontière ici nous avons eu un accueil enthousiaste, certains nous ont pris pour des Anglais ou des Italiens. Cela n’a duré qu’une minute. Jamais nous n’avons fait un si beau voyage, chacun a été émerveillé de la dernière partie de ce long et pénible retour.
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