Les pitons 1050 et 1248

Feuille 1 – recto - mars 1917

Le 14 mars 1917 violent bombardement des positions bulgares. La 166è Division a attaqué et avancé. On dit qu’elle a occupé deux villages. Le 15 mars – c’est au tour de notre Division d’attaquer. Il y a beaucoup de morts dans les tranchées ennemies, tout a été bouleversé par notre artillerie. Le 16 mars – notre Régt a bien avancé, fait de nombreux prisonniers dont un Lieut Colonel et 3 officiers. On a pris quelques mitrailleuses et des canons de tranchées. Les prisonniers sont pour la plupart très jeunes ; il y a beaucoup d’officiers Boches. Dans la nuit du 16 au 17 les Bulgares ont tiré sur Monastir et les batteries avec des obus asphyxiants. De minuit à 5 h. du matin on compte environ 2000 obus tombés en bordure de la ville côté Nord et ouest. Il y a 3 morts au T.C. et 3 à la Brigade. Parmi les civils on parle de 250 à 300 victimes. Aussi bien des gens quittent-ils la ville. Le 17 mars – le canon a donné toute la journée mais surtout le soir, les nôtres ont encore avancé, ils ont réussi à s’emparer du Monastère, importante position à droite de la cote 1248 où de violents bombardements sont dirigés. On a fait encore 400 prisonniers et ce soir-là on les évalue pour les 3 j. à 8 ou 900. Les Bulgares ont tiré le soir un peu partout dans la ville mais surtout contre les batteries. Les Coloniaux ont appuyé le mouvement des nôtres et il doit venir des renforts. Le 18 mars – le canon tonne dès le matin, les Bulgares répondent bien et dans l’après-midi, il ne fait pas bon circuler en ville. On attaque la cote

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1248. Le soir, on dit même qu’elle est prise. Les 4è et 8è Colonial sont passés, montant appuyer l’attaque. Le 19 mars – il se confirme que la fameuse cote est enlevée, c’est une importante position qui favorisera beaucoup les autres opérations. Les prisonniers continuent toujours à arriver. Il y en a certainement plus de 1200 pour notre Division seulement. Le 20 mars – les attaques ont continué mais les B. ont reçu du renfort, les attaques de leur part deviennent assez fréquentes aussi l’avance est bien réduite. On éprouve des pertes beaucoup plus fortes que les 1ers jours. La ville de Monastir est toujours fréquemment bombardée. Le 20 mars – au soir, les combats et contre-attaques continuent toujours : pas beaucoup de résultat. Vers 5 h ½ du soir un groupe d’avions (10) boches est venu faire une incursion à l’arrière (Une saucisse descendue par les canons B.). Planant au dessus des nombreux camps de l’Intendance et des services d’arrière, ils ont lâché une soixantaine de bombes. On compte une cinquantaine de blessés, on parle de 10 à 15 tués. Personne de ceux des nôtres qui s’y trouvaient n’a été touché. Le 21 mars – on apprend que le major-chef du Régt a été blessé assez sérieusement à l’épaule. Il y a malheureusement bien d’autres pertes, on parle de 2 à 300 hors de combat, plusieurs officiers tués ou blessés. L’avance est nulle dans cette journée. Le 242è est très éprouvé. Toujours grande activité d’artillerie et la ville reçoit toujours des obus tirés de la plaine. Le 22 mars – rien de nouveau sauf la relève de 2 Régts

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 de la Division. Le soir les B. ont tiré sur Monastir avec des obus incendiaires. Plusieurs maisons brûlées. Le 23 – rien de nouveau sauf le bombardement intermittent de la ville. Le 24 mars – pas de changement, un incendie est aperçu au loin de l’autre côté de la Cerna. On ignore ce qui brûle. Beau temps avec vent du Sud très chaud. Toujours pas de relève. Le 25 mars – rien à signaler sauf une courte canonnade le soir à la cote 1050. On dit que nous tenons 1248 solidement. Le 26 mars – vers midi une escadrille d’avions ennemis survole les montagnes aux environ de Brod, lâchant de nombreuses bombes. Puis nouveau bombardement dans la plaine probablement sur Vakufkof. Canonnés vigoureusement par nos batteries qui ont réussi à en descendre un, les autres sont repartis après avoir épuisé leurs bombes. Le soir on a dit qu’un groupe des nôtres avait fait aussi une sortie de bombardement sur les camps ennemis. Le 27 mars – on annonce notre départ pour le lendemain . Nous devons aller à Obstrina ou environs ; le Régiment sera relevé dans la nuit du 27 au 28 par le 4è Colonial. Il est probable que nous ne resterons pas longtemps en arrêt ; des bruits circulent qu’on ira plus loin. Le canon a tonné assez fort après-midi au N. de Monastir. Renseignements pris il y a eu attaque et légère avance, contre-attaque des  

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B. enfin nous avons fait 2 à 300 prisonniers. Le 28 mars – déménagement, nous allons à Dragos, arrivée après-midi, cantonnement à l’extrémité du village. Le Régt est plus loin dans la montagne à Rakovo. Toute la Division sauf le 260è au repos. Le 29 mars – installation complète et reprise du travail normal. Le canon s’entend assez fort le soir. Il souffle un vent très frais venant du haut de la vallée. Les hautes montagnes sont encore en neige. Les 30 et 31 mars – rien à signaler sauf la visite de quelques avions. Le 1er avril – on apprend que le Régt a été cité à l’Ordre de l‘Armée pour sa participation à l’avance au nord de Monastir. Le 2 avril – rien d’anormal sauf qu’on parle de départ. Le 3 avril – je suis monté à Rakovo où se trouve le Régt, on passe près d’Obstrina situé dans la vallée qui monte vers Rakovo. Le pays est très pittoresque, la vallée se termine à Rakovo, village bâti au pied de hautes montagnes dont les cimes sont couvertes de neige. Le Régt est en grands préparatifs pour la revue de l’après-midi où le drapeau sera décoré. Je rentre en passant par la montagne sauvage ; des coups d’œil merveilleux. Je retrouve Dragos et le cantonnement que les nôtres viennent de

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quitter. Je rejoins à la nuit le camp installé en plaine au dessous du village de Kanina. On reprend la vie sous la tente. Le 4 avril – rien de nouveau sauf qu’il a fait très chaud. Le Régt est passé se dirigeant sur ses anciennes positions qu’il occupera demain soir. On parle de prochaines opérations à la cote 1050. Beaucoup de troupes y sont massées, l’artillerie lourde de Monastir s’est en partie dirigée sur ce point. La ville est toujours bombardée. Le 5 avril – rien de saillant, on voit passer quelques convois se dirigeant sur la Cerna. Un mois se passera sans évènements importants, plusieurs fois on a dit qu’un Colonel russe était passé avec son Bataillon dans les lignes bulgares, d’où changement du plan d’attaque. Malgré ce retard, presque journellement il se passe de violentes actions vers cette cote fameuse. Plusieurs attaques avec obus incendiaires ou aux liquides enflammés se produisent surtout vers la fin du mois d’avril. Le spectacle est parfois terrifiant, particulièrement la

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la nuit ou à l’aube. Toute la montagne est en fumée et en feu, on dirait un volcan en éruption. Chez nous, à part quelques canonnades, rien de nouveau dans le secteur de la Division. Sur la gauche il s’est produit 2 ou 3 jours durant des actions assez chaudes, la 156è Division a reçu le choc et a reculé un peu, puis a regagné le terrain perdu. Les Bulgares ont aussi fait usage de liquides enflammés. La situation en ville est toujours pareille ; des obus chaque jour plus ou moins nombreux, malgré cela la vie des habitants ne subit pas grands changements, chacun vaque à ses occupations et dès qu’un obus arrive tous courent à la cave. Le quartier où se trouve notre magasin a été visé certain jour, plusieurs marmites sont tombées tout près mais heureusement pas de dégâts. Comme temps, nous subissons les assauts d’une température tout à fait bizarre. Il a fait très chaud plusieurs journées de suite et brusquement le temps s’est refroidi, pluie ou neige sont venues nous surprendre dans ce mois d’avril qui ici est

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une date avancée pour ces retours d’hiver. Les cimes des montagnes près de nous sont encore bien blanches de neige et qui sait s’il n’y en aura pas encore en juin. Toujours quelques visites d’avions qui vont un peu plus dans la plaine continuer leurs exploits sur les nombreux camps. Le 1er mai 1917, ils ont bombardé nos centres de l’arrière aux environs de Brod ; un dépôt de munitions ou d’essence a du sauter. A parti du 6 mai l’artillerie se montre plus active sur 1050 ainsi que chez où l’on fera une feinte d’attaque. Les 7 et 8 mai – le bombardement continue très nourri. Dans la nuit du 7 au 8, Monastir a été soumis à un violent bombardement par obus asphyxiants. Il y aura encore bien des victimes parmi les civils car il ne reste pas beaucoup de troupes en ville. Le 9 mai – le canon, qui n’a pas cessé de tonner toute la nuit à 1050, gronde sans arrêt ; un formidable bombardement se poursuit sur la cote ; les éclatements paraissent se porter plus loin que ces jours derniers mais sait-on ce qui se passe ?

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Jamais encore je n’ai vu pareille préparation d’artillerie, les Bulgares doivent prendre quelque chose. On prétend que c’est pour aujourd’hui l’attaque de l’infanterie. Réussira-t-elle ? Irons nous à Prilep, l’objectif visé depuis l’occupation de Monastir ? Comme toujours on ne sait rien d’exact sur ce qu’on fait, à 7 h. du matin aucun renseignement sur les opérations n’est parvenu jusqu’à nous. La canonnade s’est poursuivie sans relâche tout le matin il y a diminution d’intensité le soir. Vers 1 h de l’après-midi un avion boche survenu brusquement derrière la montagne a mitraillé un de nos ballons qui est tombé en flammes. Le pilote faisant usage du parachute n’est pas descendu normalement. On l’a vu s’écraser trop vite sur le sol, il paraît qu’il avait été blessé par une balle ; Dans cette journée, je reçois une autre affectation. La sentence est rendue le soir, je quitterai dans quelques jours les camarades et le travail fait depuis     mois. Le 10 mai – rien de nouveau, la canonnade est bien moindre que les jours précédents sauf dans nôtre secteur. Le 11 mai – grande activité d’artillerie à 1050, il y a un bombardement intense le matin, on dirait que la ligne a avancé car le

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piton célèbre ne reçoit plus d’obus. Beau temps, très chaud, apparition cette nuit des 1ers moustiques. Les 12, 13, 14, 15 mai – grande activité d’artillerie de part et d’autre il y a un martelage des positions. On parle d’attaque dans notre secteur. Le 16 mai – le canon qui n’a pas cessé toute la nuit, gronde très fort. Au petit jour le 34è Coll a attaqué ainsi que le groupe Liger. On connaît le soir les résultats : avance puis recul aux anciennes positions au total les deux régts à peu près anéantis. Le 17 mai – rien de nouveau, sauf grande activité de l’artillerie, près de 1050. Le 18 mai – j’ai quitté mes camarades pour aller habiter en ville à mon nouveau poste. Il fait terriblement chaud. La campagne est assez bien en ce moment. La plupart des champs sont cultivés, les paysannes surtout travaillent sans arrêt. Sur la piste devenue une route passable, des équipes d’indigènes la réparent ou l’améliorent. Nous arrivons au but du voyage vers 5 h. Le 19 j’ai fait mes débuts. Comme bureau un trou casematé offrant une certaine solidité ; à côté l’abri de bombardement. Depuis plusieurs jours il n’y a pas de grands changements sauf les tirs réciproques d’artillerie. Les batteries de 120 et 75 sont à quelques centaines de m. de nous, aussi avons nous souvent des éclats dans le quartier.

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Jusqu’au 25 mai rien d’anormal sauf qu’on parle ce jour-là de la relève des anciens d’Orient. C’est une question qui revient ou qui peut-être sera rendue vraie bientôt. Du 25 mai au 30 juin, la vie continuera assez tranquille pendant des semaines ; quelques coups de canon, de part et d’autre, certains jours un point paraît visé par les Bulgares, le lendemain tout redevient calme. L’animation est assez      en ville, le commerce a repris dans tous les quartiers, il y a énormément de flâneurs dans les rues. Pas de bombardement sur la ville. Vers les 1ers jours de juin, les Grecs vénizélistes sont apparus ici, on a annoncé plusieurs bataillons qui iront renforcer la Division. Pendant plusieurs jours il en passe constamment, montant en ligne. Il y en a 6 Bataillons à la Division, fin juin. Les soldats ont assez bonne allure quoique peu habitués au canon. Enfin cela permettra quelques repos aux nôtres. Le 1er juillet il y a eu vers le soir une rafale de 77 dans notre quartier. Pas de dégâts. Du 1er au 5 juil quelques obus sont tirés chaque matin vers 9 h, au delà du carrefour de la gare par suite de la reprise de la circulation. Il en est tombé quelques uns

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uns dans la ville aussi, chose qui n’était arrivée depuis longtemps. Le soir du 5 juil on fait les 1ers préparatifs de déménagement. Les hommes chargés du cantonnement partent dans la nuit. C’est le 242è qui doit relever le Régt. Un Bataillon partira dans le nuit de 6 au 7 juil, un autre nuit du 7 au 8 juil avec l’E.M. et nous, enfin le 3è Bataillon nuit du 8 au 9 juil. Tout est donc prêt pour la relève qui a commencé du reste, on signale le 6 juil, un Bataillon du 242è en ville qui doit partir le soir même en ligne. Mais il se produit un gros événement : on colporte la nouvelle vers 4 h. du soir. Les poilus du 242è refusent de monter en ligne. Nous avons confirmation de cette décision vers 7 h. ; les poilus au nombre de 150 à 200 représentant les anciens du Bataillon sont allés trouver le Commandant lui exposant les raisons pour lesquelles ils refusent de partir : permissions promises et jamais accordées à ceux qui depuis le début sont au front sans avoir revu leur foyer. Le Commandant a supplié, insisté pour les faire monter, même refus. Tout le Bataillon fait chorus. Les conséquences s’en font aussitôt sentir. A 8 h. télégramme bref : « tout le monde reste en place » ; il n’y a donc

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qu’à attendre. Le 7 juillet au matin, tout le monde cause de la grande nouvelle. On applaudit au geste de ceux qui comme nous, toujours bernés, manifestent si bien les pensées des anciens. Tout a marché d’une façon merveilleuse. Dans chaque Régt on était au courant du mouvement qui a éclaté subitement. Pas de bruit, les précautions sont prises pour éviter la violence ou des actes de force armée. Mais il n’y a aucune déception, le geste restera fait pour tous et localisé au Régt fameux. On dit que le Général est venu hier au soir. Vers 1 h. nous nous rendons dans le cantonnement du 242è,à quelques centaines de m. de nous. Nous nous entretenons avec ceux qui furent et sont en tête du mouvement. Les camarades nous disent l’entretien du matin. On a réuni les anciens qui ont suscité le refus, environ une dizaine par Cie, sergents, caporaux et troupiers. Le Général Grossetti commandant l’A.F.O et le Général Jacquemot de la Division ont harangué le groupe. Le 1er a exposé les raisons, que tout le monde connaît depuis longtemps, pour lesquelles on n’a pas eu de permissions, beaucoup de promesses, mais que n’en a t-on pas eues ? Il a demandé à tous de vouloir bien tou-

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-cher le drapeau. Tous sauf trois ont refusé, le général navré a fait alors mettre le drapeau en berne. Désormais il sera voilé de crêpe, ses soldats ayant refusé de le servir. La cérémonie a pris fin après que le Général leur assure qu’ils iront au repos à l’arrière ….. Jusqu’ici on ne parle pas de sanctions. On dit que la 30è Division doit arriver incessamment nous remplacer. De toutes part on a eu connaissance du coup d’audace ; le 260è est paraît-il dans un état d’énervement supérieur encore. En attendant rien de nouveau chez nous, les ordres ont bien changé par suite de ces évènements et nous restons en place.
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