Séjour à Salonique

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Du 25 déc au 31 déc 1915, il ne se passe rien de saillant. Nous restons au même emplacement et nous commençons à nous plaire dans notre camp. Du reste il fait beau, très beau même et certains jours il a fait très chaud ; on découvre le golfe et le port de Salonique où il y a de très nombreux bateaux. Le 1er janvier 1916 se fait assez tristement, il pleut le matin, et la journée est entièrement maussade, pas grands bruits ce soir-là comme il s’en ferait au pays. Jusqu’au 5 pas de changements ; les bruits les plus invraisemblables circulent sur notre départ en France, les avions ennemis se sont montrés un jour assez nombreux et ont lancé quelques bombes sur Salonique, les nôtres un peu tard leur ont donné la chasse sans succès. Le vent du Nord a soufflé très violent, à tout moment on croit les tentes arrachées et cependant elles tiennent bon partout, le 4 janv au soir il est particulièrement fort et on doit prendre quelques précautions.

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Du 5 janv au 15 janv, rien de nouveau dans la situation. Nous avons transporté notre camp un peu plus au Sud de façon à nous faciliter le service. Nous sommes mieux comme installation et un petit ruisseau prend source près de nous. Les avions ennemis font de petites apparitions, l’un d’eux a lancé une bombe à 500 m de nous le jour de notre arrivée. Pour éviter la visibilité des grandes tentes blanches, on les enduit d’eau délayée avec de la terre ce qui leur donne une couleur Kaki se confondant avec le sol. C’est un terrain où l’on rencontre beaucoup de tortues, il faut un peu creuser car à cette époque elles sont toutes terrées de 10 à 20 cm, mais il y en a beaucoup ; les travaux de défense font des progrès tous les jours et les fortifications deviennent importantes. Comme temps c’est toujours très irrégulier, il fait très chaud, puis très frais le même jour, mais ce qui persiste c’est le vent du nord qui souffle en tempête très souvent

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Le 15 janv au matin on constate qu’il neige et que partout il y en a une bonne couche déjà et cela continue presque tout le matin. Il fait très froid, aussi installons nous du feu dans notre bureau et le soir la veillée se fait chez nous avec plaisir car il fait chaud. La partie de cartes est animée jusque très tard. Le 16 janv il fait encore très froid mais le temps étant calme vers 10 h le soleil vient et fait fondre un peu la neige, le 17 janv il n’y en a plus sauf sur les montagnes. Jusqu’au 25 pas de changements, le vent a soufflé très souvent parfois pendant 3 ou 4 jours sans cesser, les nuits étaient assez froides mais on a employé les moyens. Notre feu a été très utile dans notre bureau, les veillées se sont faites cher mais quand il faisait froid, toujours la même assemblée qui ne s’ennuie pas. Séjour tranquille, pas d’avions ennemis depuis quelques jours, les nôtres font de fréquentes sorties en escadrille. Les travaux de défense continuent toujours et l’artillerie s’augmente encore partout. Le 27 janv;

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il fait très beau, le vent est tombé et il fait très chaud dans la journée. Rien de nouveau à signaler jusqu’au 1er février 1916 où se passe un incident important. Il était 2 h ½ le matin, la nuit était noire quoique le temps fut clair, pas un souffle de vent quand on signale la présence d’un Zeppelin sur Salonique. Après avoir lancé plusieurs bombes, on parle de 15 ou 16 sur différents endroits de la ville et du port, il vire précipitamment puis il passe au dessus de notre camp se dirigeant sur la frontière direction Monastir. Il y a quelques coups de canon envoyés sur lui en pure perte car il était loin déjà. Comme dégâts c’est très importants et on compte plusieurs victimes. De bonne heure 15 avions sont partis de chez nous sans doute pour répondre à cette incursion. Le soir se place une aventure comique dans notre campement, au sujet d’un couteau perdu. Le 2 fév, très belle journée, sans incidents il paraît qu’on veille sur les Zeppelins car les projecteurs fonctionnent le soir. Le 3 fév voyage à Salonique. Parti au petit jour, j’ai fait 10 km

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environ à pied ; en longeant le Galiko, je suis arrivé au pont de la route allant de Salonique à Monastir. Ce pont fait en bois sur pilotis traverse le Galiko très large à cet endroit. Une fois franchi, on se trouve au milieu des camps français où il y a très peu d’animation. Un peu plus loin se trouve de chaque côté de la route, le camp anglais où se trouvent de nombreux camions autos. J’ai pu en prendre un qui m’a amené aux portes de la ville. J’ai pu constater en venant le travail fait par nous pour aménager la route qui est maintenant excellente. Les campements se suivent presque sans interruptions et je remarque le nombre considérable d’autos qui sont parquées. J’arrive en ville où un peu après je peux examiner un avion boche abattu la veille par les nôtres. L’appareil n’a pas de mal, seul le réservoir a été percé par deux balles, il y a énormément de monde pour le voir et comme il se trouve

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dans un carrefour de rues, la foule défile constamment. Il y a toujours grande affluence dans les rues, on croise des soldats grecs, des serbes, des anglais, des poilus de chez nous et beaucoup de matelots des escadres. Le commerce fait toujours des affaires d’or, c’est toujours le même racolage pour attirer l’acheteur qui paie tout trop cher. Je n’ai pas trop mal mangé dans les restaurants mais au double des prix raisonnables ; le soir la rue a encore plus d’animation, vers 7 h c’est la promenade des tous les soldats et civils se dirigeant surtout sur les Cafés-concerts où il y a de l’horrible musique. J’ai pu coucher dans un bon hôtel israélite très tranquille, le lendemain il a fallu continuer les affaires et tout en voyageant, j’ai vu le grand bâtiment incendié par les Zeppelins. Les affaires finies, il a fallu rentrer, beaucoup d’incidents nous ont forcé à coucher à mi-chemin au camp de l’aviation et nous ne sommes rentrés que le 4 fév au matin, très fatigués du voyage terminé avec la pluie

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Pas de changements dans notre vie au milieu du « désert ». On doit cependant  aménager les tentes d’une autre façon car certains jours il fait déjà très chaud. On creuse dans le sol les cagnats qui sont peut-être plus fraîches mais aussi plus confortables. Le 16 fév un avion boche a tenté de s’approcher de Salonique, mais violemment canonné par nos batteries, il a du faire demi-tour juste au-dessus de notre camp. C’est par hasard qu’il a pu s’échapper car les coups étaient très près. Pour le reconduire un des nôtres l’a pris en chasse mais un peu tard. Jusqu’au 28 fév pas de nouveaux importants, mais la température a changé, le ciel est couvert et doux faisant présager la pluie. Le soir un orage a fait subitement arriver une crue d’eau dans le ravin auprès duquel nous somme campés, la violence du torrent a emporté notre lavabo et notre lavoir. La pluie s’étant arrêtée, aussitôt l’eau s’est retirée.

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Le 29 fév, la pluie est tombée un peu et la boue commence à venir dans notre camp. Le 1er mars 1916 pluie le matin, mais pas trop d’eau encore le soir dans le ravin, le 2 mars il pleut tout le jour, le ravin est transformé en un torrent violent, un barrage établi pour notre source d’eau potable a été emporté et la pluie continuant on ne sait où les eaux s’arrêteront. Il y a une boue épaisse et de l’eau partout. Le soir le temps est toujours à la pluie, c’est au bruit du torrent qui passe à 3 m de notre guitoune mais à 5 ou 6 m de profond que je termine ces lignes. Heureusement que dans la nuit la pluie cesse et le 3 un peu de vent dissipe les nuages et nous donne un soleil très chaud. Le 3 mars rien à signaler sauf la chaleur accablante. Jusqu’au 10 mars, pas de changement dans la situation, mais la pluie fait rage pendant 24 heures : nouvelle crue, effondrement du ravin par petits éboulements ce qui nous oblige à déménager le bureau

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sur un autre point mieux en sûreté. Le 12 mars on installe nos meubles et fait important de la journée, le Lt-Colonel de notre Régt - René GONDRE - meurt après quelques heures de souffrance. On l’enterre à Salonique le 14 mars. Pas de changement dans notre vie mais le 16 mars au soir on a entendu quelques coups de canon dans la direction de Doiran. Le 17 mars nouvelle canonnade au cours de la journée, une division (122è) serait engagée à la frontière, il y a aurait des blessés arrivés à l’arrière. Nous devions avoir une surprise dans la nuit du 16-17 ; il était 2 h ½ du matin, le temps était très calme, il faisait assez clair quoique la lune se cachait derrière d’épais nuages quand nous sommes réveillés par le ronflement d’un moteur et q.q. coups de canon ; aussitôt levés, nous allons voir dehors et on devine tout de suite un Zeppelin. Il se trouve juste au-dessus de nous quand les obus qui le cherchent le forcent à obliquer à droite. Quelques secondes puis des lueurs et les éclatements formidables des 5 bombes qu’il vient de lancer. Une épaisse fumée monte chez nous, constatons que ce n’est pas très loin de nous. Il file

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toujours sur la droite suivi par nos canons. Un avion arrive aussi puis un autre mais il est loin déjà et les nôtres n’insistent pas. On entend encore le bruit de son moteur mais bientôt nous rentrons car il nous paraît passé la frontière. Il n’y a pas 30 minutes que nous sommes couchés que le canon nous réveille, le Zeppelin revient ; il lance plusieurs bombes encore mais très loin, puis tout redevient calme. Le lendemain matin, nous avons visité l’emplacement où sur 200 m les bombes sont tombées. Deux surtout ont creusé d’énormes entonnoirs où un homme debout disparaît, la terre est blanchie par l’explosion et d’énormes blocs ont été lancés partout avec force, pénétrant dans le sol. Au loin vers la frontière le canon tonne ; le soir il gronde sans arrêt et comme il y a 3 mois qu’on ne l’a pas entendu, chacun écoute avec curiosité. Le 19 c’est un jour de très beau temps, mais des évènements vont se produire bientôt car il y a des Régts d’alertés. Bientôt peut-être nous reprendrons la campagne Bulgare et ce ne sera pas sans doute dans la même direction

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que la 1ère fois. Le 20 mars on apprend que ce n’est pas notre tour de partir mais il doit y en avoir d’autres de désignés, et ce n’est que pour faire des travaux de routes qu’ils doivent partir. Du 20 au 30 mars rien de bien important sauf un raid d’avions ennemis sur Salonique et les environs ; il était à peine jour que cinq ou six appareils ont plané longtemps dans notre région, avant que les précautions fussent bien prises ils ont pu jeter beaucoup de bombes sur Salonique et la banlieue, une forte détonation suivie d’une épaisse fumée noire nous a indiqué qu’ils y avait eu des munitions de touché et en effet un dépôt avait été touché par une bombe et sauté. Il y a eu plusieurs soldats de tués ou blessés et dans les civils des pertes également. Nos avions les ayant pris en chasse, il y a eu de beaux combats et finalement 2 appareils ennemis ont pu être abattus. Comme température

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sauf un jour de forte pluie, la chaleur devient de plus en plus forte ; nous avons fait un jardin qui commence à pousser ; le mois d’avril nous trouve toujours aux mêmes emplacements et les jours s’écoulent assez monotones. Il fait de plus en plus chaud mais il n’y a pas de cas de fièvre ni d’insolation. On finit cependant par trouver la vie longue sans mouvements ni faits importants. Nous avons assisté à quelques concerts organisés par les poilus de notre Régt et de l’artillerie, ils ont eu beaucoup de succès et chacun a pu apprécier des artistes que 20 mois de campagne n’ont rien enlevé comme bonne humeur. Comme opérations c’est toujours la canonnade journalière presque, mais ce n’est pas encore de grosses affaires, il ne doit rien y avoir d’engagé sauf quelques escarmouches. Le 1er mai 1916 rien de nouveau, le 2 mai gros émoi, on part dans 2 jours pour l’avant, et en effet le 4 mai vers 2 heures du
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